Poète, essayiste et traducteur, Armel Guerne est né en 1911 à Morges (canton de Vaudd). Il publie son premier ouvrage, Oraux, en 1934. Engagé dans la résistance pen dant la Seconde Guerre mondiale, il est arrêté par la Gestapo, mais réussit à s’évader du train qui l’emmène a Buchenwald, et rejoint Londres. Rentré en France, il traduit de nombreux auteurs : Novalis, Rilke, Hölderlin, les frères Grinm, Melville, Virginia Woolf, Dürrenmatt, Lao Tseu et Kawabata… pour n’en citer que quelques-uns, tout en poursuivant son œuvre personnelle. Il compte parmi ses amis Mounir Hafez, André Masson, Georges Bernanos, Cioran enfin avec qui il entretient pendant une vingtaine d’années une longue correspondance. Il meurt en 1980 à Marmande, à quelques kilomètres du moulin à vent de Tourtrès en Lot-et-Garonne, où en 1967 il avait choisi de se retirer.
« Bien des lecteurs du Magazine littéraire, j’en suis sûr, connaissent le nom d’Armel Guerne à cause de ses nombreuses traductions constamment rééditées – celles des grands romantiques allemands (Novalis et Grimm surtout), des Élégies de Duino de Rilke ou des principaux romans de Melville. Mais quand le XXe siècle aura pris son vrai visage, sans doute reconnaîtra-t-on en Guerne avant tout un poète ; et ses traductions intéresseront encore, mais parce qu’elles font partie de son œuvre. La réédition en un seul volume de plusieurs petits recueils posthumes depuis longtemps introuvables en apporte encore la preuve.
Ami de Bernanos ou de Cioran, Guerne a connu le sort d’être un poète apprécié d’un petit nombre d’admirateurs fervents, mais ignoré du grand public, et considéré par les critiques avant tout comme un traducteur. Arrivé par hasard ou par un signe du destin (un accident de voiture) à Tourtrès, un petit village du Lot-et-Garonne, il s’y installa et passa les vingt dernières années de sa vie dans un moulin à vent désaffecté, à « écouter le chant du monde » et à noter, en poèmes brefs qui sont autant d’éclairs de vision, son dialogue avec l’infini. Comme les mystiques dont il s’est nourri, Guerne ne fait nullement une confiance aveugle au langage – mais il sait que cet instrument imparfait est la seule lampe qui permette d’éclairer nos ténèbres intérieures, par exemple en interrogeant ses rêves, comme dans La Nuit veille, admirable livre de 1954 récem mentréédité [1] Cette « âme insurgée » (le titre d’un essai sur le romantisme [2]) ne cesse de protester contre son époque matérialiste et mercantile ; la poésie est pour lui un acte de résistance spirituelle.
Rien n’a vieilli dans ses poèmes, souvent faits d’une seule phrase déployée sur dix ou douze vers. Leur grandeur se mesure à la qualité du silence qu’ils font régner autour d’eux. Un silence plein et vivant : “Mais pour savoir que le silence/Est la grande et unique clé/ Il faut percer tous les symboles […]/ Subir jusqu’à la mort/Comme un écrasement/Le poids vivant de la parole”. »
(1) Éd. Intexte, 2006www.intexte.net.
(2) Éd. Phébus, 1977, encore disponible.
Jean-Yves Masson
Le Magazine littéraire, N°472, février 2008
« Armel Guerne – le dernier Chevalier du Graal », par Dana Shishmanian, Francopolis, sept.-oct., 2023
« Armel Guerne : Qui est-il ? », France Culture, 1984